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e
projet architectural
Beaucoup d'interrogations demeurent sur le projet architectural.
Il semble, en fait, que chaque ambassadeur ait laissé,
à son passage, ses propres idées et suggestions.
Arsène Henry est, par exemple, chargé par le Ministère
d'observer comment son collègue anglais est logé
à Ottawa pour déterminer la taille et la disposition
des pièces de la future Ambassade. Raymond Brugère,
son successeur, lance, lui, l'idée d'un fumoir, d'un rez-de-chaussée
surélevé et d'un garage accolé à la
résidence.

Esquisse finale situant l'Ambassade
et son parc
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Pourtant tous leurs souhaits n'ont pas été respectés.
Arsène Henry voulait conserver la vieille maison Blackburn
et y installer la Chancellerie. Pour la résidence, il envisageait
un immeuble de taille modeste, une demeure "vieille France"
de style XVIIIème siècle, qui selon lui "plaira
davantage aux Canadiens qu'une construction très moderne
qui paraîtra bien américaine". Son successeur
et le Ministère des Affaires Etrangères semblent
d'accord.
Le résultat final est pourtant complètement différent
: la maison Blackburn est démolie, l'immeuble érigé
est monumental et le style moderne. Pourquoi ce changement ? Qui
en est l’initiateur ? Les archives ne donnent pas de réponse
précise. Plusieurs hypothèses peuvent être
émises.
En ce qui concerne, tout d'abord, le coût très élevé
de la construction, il semble en fait que, comme dans tout projet
de cette envergure, le prix de départ ait été
sous-estimé. L'architecte est d'ailleurs accusé
par le Comte de Dampierre d'avoir vu trop grand. D'autre part,
au fur et à mesure de la construction et face à
l'engouement que ce projet suscite chez les Canadiens, se développe
l'idée selon laquelle il ne faut surtout pas décevoir
les Canadiens. Raymond Brugère écrit en 1935 : "Dès
mon arrivée ici, je me suis rendu compte de la haute importance
morale que présentait ce projet. Peut-être plus que
partout ailleurs, il importe qu'au Canada, la France soit installée
chez elle et dans un immeuble qui en nous faisant honneur, flatte
l’amour-propre des Canadiens, qui ont conservé, si
vivants en eux, le souvenir et le goût des choses de chez
nous".

Un des avant-projets d'ensemble
conçu par Eugène Beaudouin |
Quant au style moderne de l’Ambassade, plusieurs éléments
laissent penser que Beaudouin s’est inspiré d'esquisses
réalisées par Ernest Cornier, un architecte de Montréal.
Ernest Cornier a été contacté par Jean Knight,
juste après que le terrain ait été trouvé,
pour réaliser, à titre indicatif, un projet global
de construction. Or, d'après les archives, son projet ressemble
fort à l’ambassade actuelle : un immeuble de style
moderne et sobre comprenant une grande galerie, un salon rond,
un immense hall et un escalier monumental. Élément
également troublant: Ernest Cormier est classé dans
le courant artistique Art Déco, celui dans lequel est construite
et décorée l'Ambassade, et est connu pour son style
sobre et l’utilisation de matériaux nobles (notamment
le marbre et le bronze), comme c'est également le cas dans
l'Ambassade. Nous n'avons pas retrouvé les esquisses de
Cormier et nous ne savons pas si son projet a retenu l'attention
du gouvernement français. Nous savons juste qu'Ernest Cormier
a manifesté son regret de ne pas être choisi comme
représentant sur place d'Eugène Beaudouin. Ce dernier
explique son choix à Raymond Brugère : "Il
m'avait paru impossible de proposer à un homme de sa notoriété
et de son âge, ayant déjà une carrière
de créateur aussi brillamment remplie, une situation d'inspecteur
qui était formellement subordonnée à un architecte
en chef beaucoup plus jeune que lui". Il poursuit un peu
plus loin : "Je suis absolument navré que Monsieur
Cormier marque un aussi grand regret car je le considère
comme un confrère de grande valeur professionnelle, et
je sais tous ses efforts, couronnés de succès d’ailleurs,
pour faire triompher la cause française au Canada.

Plans définitifs de
l'Ambassade de
France
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Il est certain qu'il aime la France. Il nous a semblé
que le ruban rouge serait peut-être une reconnaissance de
ses services très sincères et apporterait un apaisement
à son dépit qui est certainement très vif".
Pourquoi Beaudouin propose-t-il que l'on remette la Légion
d’Honneur à Cormier sinon pour apaiser l'architecte
qui pourrait se réclamer l'auteur du projet ? Une autre
interrogation demeure : Beaudouin n'a jamais parlé de sa
participation à la construction de l'Ambassade de France
: comment expliquer qu'un architecte cache toute sa vie un tel
projet ? Par pudeur par rapport à une œuvre qui n'est
pas complètement la sienne ?
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